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La transition technique → management

Objectif : Accompagner le passage du “faire” au “faire faire”

Félicitations ! Vous êtes maintenant CTO. Première question qu’on va vous poser : “Alors, tu comptes arrêter de coder quand ?”

Et là, petit moment de panique intérieure. Parce que… euh… en fait, on vous a promu CTO justement parce que vous étiez bon en code, non ? Alors pourquoi il faudrait arrêter ?

C’est LE dilemme de tous les nouveaux CTOs : comment passer du “je fais” au “je fais faire” sans avoir l’impression de perdre son âme ?

Gérer sa propre frustration de moins coder

Section titled “Gérer sa propre frustration de moins coder”

Soyons clairs : vous allez moins coder. Beaucoup moins. Et au début, ça va vous frustrer énormément.

Pendant des années, votre valeur ajoutée était directement mesurable : “J’ai livré cette fonctionnalité”, “J’ai fixé ce bug”, “J’ai optimisé cette requête”. C’était concret, tangible, immédiat.

Maintenant, votre valeur ajoutée va être : “J’ai aidé Sarah à débloquer son problème d’architecture”, “J’ai recruté un développeur senior qui va booster l’équipe”, “J’ai défini une roadmap technique qui va nous faire gagner 6 mois”.

C’est moins immédiat, moins tangible. Et au début, ça fait bizarre.

Phase 1 : Le déni “Je vais quand même continuer à coder ! Je vais juste manager un peu sur le côté.”

Spoiler : ça ne marche pas. Vous allez soit mal manager, soit mal coder, soit les deux.

Phase 2 : La colère “Mais c’est n’importe quoi ! Je suis un développeur, pas un manager ! Qui a eu cette idée idiote ?”

Normal. Laissez-vous le temps d’être en colère. Gueulez un bon coup (pas sur votre équipe, s’il vous plaît).

Phase 3 : Le marchandage “OK, je vais coder juste les parties critiques. Et peut-être faire un peu de prototypage. Et quelques code reviews approfondies.”

C’est le piège. Vous allez devenir le bottleneck de votre équipe. Tout passera par vous.

Phase 4 : La dépression “Je ne sers plus à rien. N’importe qui pourrait faire ce que je fais. Je ne suis plus un vrai développeur.”

C’est le moment le plus dur. Mais c’est aussi le signe que vous êtes en train de changer.

Phase 5 : L’acceptation “En fait, j’ai peut-être plus d’impact en aidant 5 développeurs à être excellents qu’en étant excellent tout seul.”

Bingo. Vous avez compris.

Chez Hiveo, j’étais encore dans la phase 1-2. Je voulais coder et on attendait de moi que je code (au moins 50% de mon temps), je gérais l’équipe, je gérais les questionnaires sur le niveau RGPD de notre solutio… Résultat : j’étais devenu le bottleneck de l’équipe et il fallait que j’accepte que je ne pourrais plus coder autant.

Le déclic ? Quand j’ai calculé que le temps que je passais à faire une tâche qui prenait 2h, je pouvais l’utiliser pour former quelqu’un qui la ferait en 1h30 pour toujours.

Pendant une semaine, notez tout ce que vous faites par tranches de 30 minutes. Puis classez chaque activité dans une de ces catégories :

  • Rouge : Seul vous pouvez le faire (vision stratégique, décisions architecturales majeures, relations C-level)
  • Orange : Vous le faites mieux que les autres, mais quelqu’un d’autre pourrait apprendre (code review complexe, debug avancé, formation technique)
  • Vert : N’importe qui dans l’équipe pourrait le faire (implémentation de features, tests, documentation)

Objectif : 60% rouge, 30% orange, 10% vert maximum.

Si vous êtes à 20% rouge, 30% orange, 50% vert, vous êtes un développeur senior avec un titre de CTO. Il faut changer.

Garder un lien technique sans micromanager

Section titled “Garder un lien technique sans micromanager”

Le risque, quand on arrête de coder, c’est de vouloir compenser en contrôlant tout le code des autres. Mauvaise idée.

Ce que ça donne concrètement :

  • Vous reviewez toutes les PR en détail
  • Vous imposez votre façon de coder à tous
  • Vous refactorisez le code des autres “pour qu’il soit propre”
  • Vous prenez toutes les décisions techniques, même les plus petites

Résultat : Votre équipe se démotive, n’apprend plus, et vous devenez le bottleneck de tous les projets.

1. Faites du prototypage

Quand vous avez une nouvelle idée d’architecture ou de techno, implémentez un petit POC. Pas pour le mettre en prod, mais pour :

  • Comprendre les enjeux techniques réels
  • Avoir une discussion éclairée avec l’équipe
  • Garder les mains dans le cambouis

2. Participez aux tech talks internes

Organisez des sessions où chacun présente une techno, un pattern, un outil. Et participez ! Présentez vos découvertes, posez des questions, apprenez.

3. Faites des code reviews stratégiques

Au lieu de reviewer toutes les PR, concentrez-vous sur :

  • Les changements d’architecture
  • Les nouveaux patterns introduits
  • Les parties critiques du système
  • Le code des développeurs juniors (pour les former)

4. Restez sur les alertes critiques

Gardez un œil sur les métriques de production. Quand ça pète, vous êtes en première ligne pour comprendre pourquoi et aider à débugger.

5. Faites de la veille technique active

Lisez, testez, expérimentez. Mais pour informer vos décisions stratégiques, pas pour implémenter vous-même.

Une pratique que j’ai mise en place chez Hiveo : une fois par mois, on bloquait une demi journée pour coder, explorer, discuter. Objectif : refactoring, POCs, exploration technique.

Règles :

  • Pas de meetings ce jour-là
  • Pas de code critique en prod
  • Je partage mes découvertes avec l’équipe
  • Je peux abandonner ce que je commence (c’est de l’exploration)

Ça m’a permis de rester connecté techniquement sans empiéter sur le travail de l’équipe.

En devenant CTO, vous allez découvrir que 80% de vos problèmes ne sont pas techniques. Ils sont humains.

Votre nouveau super-pouvoir : savoir expliquer des concepts techniques à des non-techniques, et des enjeux business à des développeurs.

Avec les développeurs :

  • Parlez technique, mais expliquez le “pourquoi” business
  • Utilisez des métaphores concrètes
  • Donnez du contexte sur les décisions

Au lieu de : “Il faut refactoriser ce module.” Dites : “Ce module nous fait perdre 2 jours à chaque nouvelle feature. Si on le refactorise, on va gagner une semaine par mois.”

Avec le management :

  • Traduisez la technique en impact business
  • Chiffrez quand c’est possible
  • Utilisez des analogies

Au lieu de : “Notre architecture monolithique ne scale pas.” Dites : “Notre système actuel nous limite à 10 utilisateurs simultanés. Pour passer à 100, on a besoin de 2 semaines de refactoring. Sinon, on va perdre des clients.”

Les développeurs, ça a des opinions. Très tranchées. Et ça aime débattre. Votre job : canaliser ça vers du constructif.

Les types de conflits courants :

Le conflit technique : “React vs Vue”, “Microservices vs Monolithe” Solution : Organisez un débat structuré. Chacun présente ses arguments, on vote, on tranche, on passe à autre chose.

Le conflit de personnes : “Paul trouve que Marie code comme un pied” Solution : Discussion en 1-on-1 avec chacun, puis médiation si nécessaire. Focus sur les faits, pas les émotions.

Le conflit de vision : “On va dans le mur avec cette architecture” Solution : Atelier collectif pour redéfinir la vision. Tout le monde contribue, tout le monde adhère.

Déléguer, ce n’est pas dire “débrouille-toi”. C’est un art.

Le framework RACI pour déléguer :

  • Responsible : Qui fait le travail ?
  • Accountable : Qui est responsable du résultat ?
  • Consulted : Qui faut-il consulter ?
  • Informed : Qui faut-il tenir informé ?

Exemple concret : Tâche : Implémenter un nouveau système d’auth

  • Responsible : Sarah (développeuse senior)
  • Accountable : Vous (CTO)
  • Consulted : L’équipe sécu, le lead backend
  • Informed : Le CPO, l’équipe frontend

Les 3 niveaux de délégation :

Niveau 1 : “Fais exactement ça” Quand : Tâche critique, personne inexpérimentée Risque : Micromanagement

Niveau 2 : “Résous ce problème, voici quelques pistes” Quand : Tâche importante, personne compétente Sweet spot pour la plupart des cas

Niveau 3 : “Voici l’objectif, surprends-moi” Quand : Développeur senior, tâche non-critique Le nirvana de la délégation

Donner du feedback technique, c’est facile : “Ton code a un bug ligne 42.” Donner du feedback humain, c’est plus délicat.

Le framework SBI :

  • Situation : Quand/où ?
  • Behavior : Qu’est-ce qui s’est passé ?
  • Impact : Quel a été l’effet ?

Au lieu de : “Tu es trop agressif en réunion.” Dites : “Pendant la réunion d’hier (S), quand tu as coupé la parole à Marie trois fois (B), elle a arrêté de participer et on a perdu ses idées (I).“

Les 1-on-1, c’est votre outil principal pour manager. Voici comment bien les faire :

Structure type (30 minutes) :

  • 5 min : Comment tu vas ? (vraiment)
  • 10 min : Projet en cours, blocages
  • 10 min : Développement, apprentissage
  • 5 min : Feedback mutuel

Questions qui marchent :

  • “Qu’est-ce qui t’a le plus motivé cette semaine ?”
  • “Sur quoi tu aurais besoin d’aide ?”
  • “Qu’est-ce que tu aimerais apprendre ?”
  • “Comment je peux mieux te supporter ?”

Ce qu’il faut éviter :

  • Transformer ça en point projet
  • Parler de vous tout le temps
  • Annuler régulièrement
  • Prendre des notes sur votre laptop (prenez un carnet)

Voici un plan sur 6 mois pour réussir votre transition :

Objectifs :

  • Comprendre les dynamiques de l’équipe
  • Identifier les forces et faiblesses
  • Commencer à déléguer les tâches simples

Actions concrètes :

  • 1-on-1 avec chaque membre de l’équipe
  • Audit de l’architecture et du code existant
  • Mise en place des rituels (1-on-1, retros, tech talks)
  • Délégation progressive : commencez par les tâches que vous aimez le moins

Code time : 40-50%

Objectifs :

  • Mettre en place des processus
  • Former les premiers leaders techniques
  • Définir la vision technique

Actions concrètes :

  • Création de la tech roadmap
  • Mise en place des processus de code review
  • Formation des développeurs seniors au leadership
  • Première présentation technique au board

Code time : 20-30%

Objectifs :

  • Devenir le référent technique de l’entreprise
  • Avoir une équipe autonome
  • Passer en mode stratégique

Actions concrètes :

  • Recrutement avec processus défini
  • Vision technique partagée et adoptée
  • Équipe capable de livrer sans vous
  • Participation aux décisions business

Code time : 10-20%

Vous savez que ça marche quand :

  • L’équipe peut livrer des features sans que vous interveniez
  • Les développeurs viennent vous voir pour des questions de vision, pas de debug
  • Vous n’êtes plus critique path sur aucun projet
  • Vous passez plus de temps à réfléchir au futur qu’au présent
  • Votre équipe grandit plus vite que les problèmes

Signaux d’alarme :

  • Vous êtes encore sur tous les bugs critiques
  • Personne ne prend de décision technique sans vous
  • Vous travaillez plus de 50h par semaine régulièrement
  • L’équipe se plaint que vous êtes toujours occupé
  • Vous n’avez pas le temps de faire de la veille

Tips : “Les 10 erreurs classiques du nouveau CTO”

Section titled “Tips : “Les 10 erreurs classiques du nouveau CTO””

Le piège : “Je suis plus rapide, je vais le faire moi-même.” La réalité : Vous devenez le bottleneck, votre équipe stagne. Solution : Forcez-vous à déléguer, même si c’est moins bien fait au début.

Le piège : Imposer votre style de code à tous. La réalité : Votre équipe perd en autonomie et en motivation. Solution : Définissez des standards, puis faites confiance.

Le piège : “Les problèmes techniques, c’est plus important.” La réalité : 80% de vos problèmes sont humains. Solution : Investissez autant dans les soft skills que dans la technique.

Le piège : Garder la vision technique dans votre tête. La réalité : L’équipe travaille sans comprendre le pourquoi. Solution : Communiquez, répétez, illustrez votre vision.

Le piège : “Moi je fais la technique, les autres font le business.” La réalité : Vous prenez des décisions techniques sans impact business. Solution : Apprenez les enjeux business, participez aux décisions.

Le piège : “Il faut que ce soit parfait pour scaler.” La réalité : Vous livrez trop lentement, vous perdez en agilité. Solution : Commencez simple, itérez, améliorez au besoin.

Le piège : Ne recruter que des gens qui codent comme vous. La réalité : Équipe homogène = angles morts. Solution : Valorisez la diversité technique et humaine.

Le piège : “On n’a pas le temps de refactoriser.” La réalité : Vous ralentissez de plus en plus. Solution : Intégrez la dette technique dans votre planning.

Le piège : “Le management, ça s’apprend sur le tas.” La réalité : Vous répétez les erreurs de vos anciens managers. Solution : Formez-vous, lisez, trouvez un mentor.

Le piège : “Un CTO, ça travaille 60h par semaine.” La réalité : Burn-out garanti dans les 18 mois. Solution : Équilibre vie pro/perso, sport, hobbies non-tech.

  1. La transition fait mal, c’est normal. Vous allez passer par toutes les phases du deuil. Laissez-vous le temps.

  2. Votre valeur ajoutée change. Avant : “Combien de code j’ai écrit ?” Maintenant : “Combien de valeur j’ai créée ?”

  3. 80% de vos problèmes sont humains. Investissez dans vos soft skills autant que dans vos hard skills.

  4. Déléguez progressivement. Commencez par ce que vous aimez le moins, finissez par ce que vous aimez le plus.

  5. Gardez un lien technique. Mais pour informer vos décisions, pas pour remplacer votre équipe.

  6. Formez-vous au management. C’est un métier à part entière, avec ses techniques et ses outils.

Dans le prochain chapitre, on va parler de votre positionnement dans l’organisation. Parce qu’être CTO, c’est bien, mais encore faut-il que les autres comprennent ce que vous faites !


“Un développeur résout des problèmes de code. Un CTO résout des problèmes de développeurs. Un bon CTO fait en sorte que les développeurs résolvent leurs propres problèmes.”